Passé la pointe du hype en 2010, le marché du serious game a connu depuis lors relativement peu de véritables succès. Malgré les merveilles que ces nouvelles solutions de formation devaient nous apporter, peu d’entreprises européennes ont véritablement adopté le jeu comme approche de formation.
Cette situation ne se limite pas aux serious games et concerne dans une grande mesure l’ensemble des solutions proposées dans le cadre du Digital Learning (e-learning, MOOCs, learning gamification). Comment expliquer une telle frilosité ?
Quelques pistes
Il y a près de 20 ans les premières entreprises se lançaient de manière sérieuse dans le « digital learning », avec la mise en œuvre de plateformes d’e-learning. Malgré quelques succès, ces initiatives ont en grande partie souffert des budgets conséquents nécessaires à leur réalisation (coût des plateformes et du développement de contenu de qualité) et bien souvent du manque de compétences internes en termes d’ingénierie de formation. Plus près de nous, les serious games, lancés à grand renfort de marketing dans la seconde moitié des années 2000 ont éprouvé les mêmes contraintes.
Ces jeux sérieux, adoptant une approche plus ludique de la formation, ont bien permis de résoudre l’aspect rébarbatif de certains apprentissages en jouant sur les différents leviers de la motivation des apprenants. Leur impact a toutefois été limité en raison de contenus souvent peu évolutifs et d’une focalisation sur l’individu dans le jeu, plutôt que sur une approche basée sur les interactions formatives au sein du groupe. Dans le même ordre d’idée, la gamification de la formation (utilisation d’éléments liés au domaine du jeu dans les modules de formation) n’a pas eu l’impact escompté, souvent en raison d’une utilisation « gadget » de cette approche. Il ne suffit en effet pas d’ajouter un score, des badges et un leaderboard à son LMS pour en faire une solution véritablement gamifiée.
Pour finir, le digital learning n’a pas véritablement apporté de solution satisfaisante à la prise en main par les individus de leur parcours de formation. Bien des personnes ne possèdent pas les compétences nécessaires pour se fixer des objectifs de formation en fonction de leur situation individuelle ou ne savent tout simplement pas par où commencer un parcours de formation cohérent. Cette situation a été explicitée dans la recherche effectuée sur l’impact des MOOCs ; ceux-ci se voulaient universels et ouvert à tous, mais dans les faits, une grande majorité des participants n’arrive pas au terme des modules et ceux qui y parviennent sont en grande majorité déjà diplômés.
Evolutions plus récentes
Heureusement, comme dans tout secteur relativement « jeune », quelques années d’expérience permettent de mieux appréhender les enjeux et d’élaborer une offre plus en relation avec les véritables besoins. Ainsi, de nombreux progrès ont été réalisés, aussi bien en termes de plateformes, que de services offerts.
Les compétences en termes d’ingénierie pédagogique ont souvent été renforcées au sein des sociétés prestataires de formation, permettant aux entreprises d’avoir de véritables interlocuteurs dans le cadre du développement de leurs formations (compréhension des besoins, élaboration d’objectifs et de parcours pédagogiques cohérents). La réalisation des formations digitales est aussi bien plus rapide et moins coûteuse grâce aux progrès accomplis au niveau des plateformes. Celles-ci sont devenues plus flexibles, permettant ainsi de réaliser des offres de formation plus modulaires et évoluant avec les contenus business du client.
Ces nouvelles approches permettent de mieux prendre en compte les besoins des entreprises (formations moins coûteuses et plus courtes, découpées dans le temps et mobiles), tout en améliorant l’approche individuelle, en intégrant de façon plus profonde les aspects de motivation de l’apprenant (gamification évoluée) et en améliorant l’efficacité de la formation par l’apprentissage de groupe (social learning).
L’avenir
Contrairement à d’autres secteurs, celui de la formation n’en est qu’au début de sa révolution et les années à venir vont présenter de nombreux changements et défis. La formation sera omniprésente dans une société du savoir et surtout bien plus flexible (j’apprends où je veux, quand je veux et à mon rythme). Elle devra mieux prendre en compte le parcours et la singularité de chaque apprenant, de façon à permettre un apprentissage véritablement individualisé, évolution qui sera possible en raison des progrès actuels de l’intelligence artificielle. Cette individualisation de la formation ne se fera toutefois pas au détriment du groupe et du formateur, bien au contraire.
Les interactions entre apprenants seront renforcées, évolution nécessaire pour permettre un apprentissage constructiviste, dans laquelle l’on apprend de manière interactive, par l’essai et en confrontant ses vues avec les autres. Le formateur verra son rôle fortement évoluer, de celui qui transmet le savoir, vers un rôle de d’animateur/modérateur du groupe, permettant d’encourager les échanges et l’acquisition de savoirs dans une approche expérientielle (apprendre par des expériences et accepter de pouvoir se tromper).
Cette (r)évolution du monde de la formation est nécessaire, dans un monde où le volume de connaissances ne cesse de croître, les exigences professionnelles ne cessent d’augmenter et dans lequel les entreprises consacrent un temps toujours plus court et des budgets souvent réduits à la formation.